Le 13 juillet 2020
Monsieur le Premier Ministre, Madame et Messieurs les Premiers Ministres,
En tant que plus grand organisme au service des enfants et des jeunes au Canada, Repaires jeunesse reconnaît le rôle clé que joue l’école dans notre société, et ce, d’un océan à l’autre. Alors que les fermetures d’écoles se poursuivent, leurs effets se font ressentir de manière disproportionnée par les enfants déjà confrontés à des obstacles concomitants et systémiques. C’est notamment le cas pour les enfants issus de familles à faible revenu, ceux dont la langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français, les communautés racisées qui ont déjà été frappées de plein fouet par la COVID-19, les jeunes ayant des besoins particuliers et les enfants n’ayant pas accès à la technologie ou à Internet. C’est justement à ces enfants que nos Repaires Jeunesse bénéficient partout au pays en dehors des heures de cours. Pourtant, sans école, le temps libre parascolaire n’existerait pas.
Nous prions ainsi tous les paliers de gouvernement à travailler avec audace et créativité pour optimiser l’éducation en classe cet automne.
Comme vous le savez, le fait que les enfants ne soient pas scolarisés exacerbe les enjeux systémiques, notamment :
- La santé mentale et l’isolement social: au cours des quatre derniers mois, alors que l’école était fermée, les enfants et les jeunes ont eu des interactions très limitées avec leurs enseignants, leurs mentors et leurs camarades de classe. Cet isolement entraîne déjà de lourdes conséquences négatives. Jeunesse, J’écoute a constaté une augmentation des conversations portant sur l’isolement (en hausse de 55 %), l’anxiété et le stress (49 %), la toxicomanie (47 %) et l’automutilation (23 %). Les parents s’inquiètent également pour leurs enfants. Une récente enquête menée par Statistique Canada sur le rôle parental pendant la pandémie a révélé que près des trois quarts des participants s’inquiétaient des occasions qu’ont leurs enfants de socialiser avec des amis, et plus de la moitié s’inquiétaient de la solitude et de l’isolement social de leurs jeunes.
- La violence: le confinement à la maison a piégé de nombreux enfants et jeunes dans des situations propices à la violence, loin des adultes attentionnés travaillant à l’école et des programmes parascolaires qui peuvent reconnaître cette violence, puis alerter les autorités. À l’instar du stress et des conflits dans les familles, le taux violence est en hausse. Depuis le début de la COVID-19, Jeunesse, J’écoute a constaté une augmentation des conversations portant sur la violence psychologique (en hausse de 33 %), la violence physique (34 %) et les agressions sexuelles (31 %).
- L’insécurité alimentaire: de nombreux enfants et jeunes au pays n’ont plus accès à des repas et des collations saines, car les programmes de sécurité alimentaire mis en place dans les écoles et les organismes parascolaires ne sont plus opérationnels ou le sont à une capacité fortement réduite, ce qui laisse de nombreuses familles dans l’insécurité alimentaire.
- La perte des acquis durant l’été: normalement, lorsque les enfants ne vont pas à l’école pendant l’été, ceux-ci perdent en moyenne les acquis équivalant à un mois d’apprentissage. Les enfants issus de familles à faible revenu connaissent toutefois des taux plus élevés de perte d’acquis. Pendant l’année scolaire, tous les élèves ont accès aux bibliothèques, aux enseignants, aux ressources et aux conseillers d’orientation, ce qui donne au système d’enseignement public le rôle de « grand égalisateur ». Cependant, en ce moment, les enfants finissent par prendre encore plus de retard puisqu’ils ne sont pas à l’école depuis un long moment et qu’ils n’ont pas accès au tutorat ou aux programmes supplémentaires. Environ 40 % des parents s’inquiètent quant à la tenue de l’année scolaire et la réussite de leur enfant à l’école pendant la pandémie. Plus longtemps les écoles sont fermées, plus la perte d’acquis des enfants et des jeunes marginalisés sera importante.
- Les possibilités de garde d’enfants limitées: l’accès à des soins de qualité abordables et sûrs représentait un défi pour les familles avant la COVID-19 et a été exacerbé par la pandémie. Avec les restrictions actuelles en matière de distanciation physique, les garderies peuvent accueillir beaucoup moins d’enfants que d’habitude, alors que la demande pour leurs services est en hausse et qu’elle augmentera encore en septembre. Il est loin d’être optimal pour l’apprentissage de demander aux garderies de s’occuper en plus des enfants d’âge scolaire pendant les jours où ils ne sont pas à l’école. Cela exercera une pression financière supplémentaire sur les familles. Notre expertise nous indique que les familles vulnérables seront les plus touchées par la pénurie de services de garde d’enfants. Ces dernières devront faire le choix entre ne pas reprendre le travail pour pouvoir s’occuper de leurs enfants, ou confier leurs jeunes à des voisins, des parents ou des amis non formés.
Enfin, en raison de la pandémie, les provinces et territoires du Canada ont connu des bouleversements rapides et profonds de leur marché du travail. Grâce à la levée prudente des restrictions et à la réouverture de l’économie canadienne, de nombreux parents peuvent retourner au travail. Cependant, un retour partiel à la scolarité en personne en septembre créera des choix difficiles et des impacts négatifs sur ces parents, en particulier les mères qui travaillent, ce qui fera reculer de plusieurs années l’égalité des femmes durement acquise. Puisque les enfants ne peuvent pas être laissés seuls à la maison, ceux qui ne peuvent pas se permettre d’autres modes de garde n’auront d’autres choix que de quitter le marché du travail. Une perte de revenus accablera de nombreuses familles, en particulier les parents monoparentaux et ceux qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts.
Si nous ne rouvrons pas les écoles, des familles seront plongées dans la pauvreté, la reprise de l’économie se fera au ralenti, il y aura de plus en plus de demandes d’aide gouvernementale et les inégalités s’aggraveront. La priorité des gouvernements doit être le retour à l’école dans des conditions sécuritaires.
Nous devrions avoir comme objectif que les enfants soient à l’école cinq jours par semaine et qu’ils aient accès à des programmes parascolaires, et ce, en toute sécurité. Nos Repaires jeunesse croient que le fait de rouvrir l’économie sans faire de même avec les garderies et les écoles ne correspond pas aux valeurs des Canadiennes et Canadiens. La route sera certainement pavée de défis et de revers, mais en priorisant la réouverture des écoles et des garderies dans des conditions sécuritaires, nous accordons la priorité aux enfants vulnérables et à risque, et cela reflète bien les valeurs de notre pays.
Les Repaires jeunesse seraient heureux d’entrer en contact avec les gouvernements, les experts et les autres parties prenantes pour discuter de la manière dont nous pouvons soutenir cette nouvelle priorité. Il ne sera pas facile d’ouvrir les écoles et les garderies, mais c’est essentiel pour les enfants, les parents et l’économie.
Salutations distinguées,
Owen Charters
Président-directeur général